Vous, savez, en fait, mon archet, je m'en méfie comme de la peste. Je me méfie plus de lui que de mon violoncelle, qui au bout du compte est un bon père tranquille. Tandis que l'archet, là, je sais pas. J'le sens pas trop. En fait il hérite de la sale réputation qu'avait mon archet de violon, complètement indocile et caractériel. Cet ex-là m'avait lâchement abandonnée. En plein cours. L'humiliation totale. D'abord, il y avait eu un crin, un seul. Coupé net du bout de l'ongle, dans un léger lever de sourcil. Puis un deuxième, me laissant pantoise, mais de nouveau arraché avec un brin d'agacement. Puis plus rien. Pas tout de suite. Pas trop tôt. Et d'un coup, en attaque surprise, la mèche entière. L'intégralité de la mèche : échevelée, moqueuse, glissant sur ma main droite, coulant sur mon poignet comme une rivière sauvage. Me crucifiant de stupéfaction, de honte, d'inquiétude, de colère. Roméo avait décidé de larguer sa Juliette dévouée et laborieuse que j'étais alors. Me laissant carrément traumatisée par le machiavélisme d'une telle manipulation, par une telle trahison. Désormais méfiante et soupçonneuse.
Et puis là, il y a l'archet de Valentin. Chat échaudé craint l'eau froide, dit-on, et c'est tout à fait vrai. Parce qu'il y a quelque temps, j'ai vu de nouveau, là, sous mes yeux, ce fameux crin de l'angoisse se détacher et venir se poser sur mon poignet comme un fil d'araignée. J'ai serré les dents. Pas lui. Il n'allait pas oser....!! Et puis un deuxième cheveu d'ange. Je n'ose plus bouger, plus respirer, j'attends la catastrophe, l'éboulis, la chute finale, la cascade, la déception intégrale. Mais rien ne se produit. Je me prends pour Damoclès, inspecte l'archet sous toutes ses coutures, le lève, l'abaisse, joue au dièse et au bémol, guette un bruit (??) , attend le souffle court. Suspense. Mais non. Le travail reprend, avec une mentalité d'infirmière au chevet d'un grand malade. Toujours rien. Je joue. J'oublie. Violoncelle m'a repris dans ses bras.
Et s'il m'aimait vraiment, celui-là.....??
Le temps a passé. La dernière fois, c'était en Février. Le temps des Amours. Et ça l'est, toujours. Sans faillir. Sans faiblir, sans tomber, sans se séparer jamais. Il me connaît mieux. Il me tolère, m'aide parfois, joue avec ou contre moi, me trahit un peu, mais ne s'absente jamais. Ne me laisse jamais. Depuis lui, je ne suis plus seule. Mon âme ne traîne plus dans les chemins étroits, ne s'abandonne plus aux ombres passantes, ne s'égare plus là où il fait sombre.
Je le connais comme on connait un homme, j'ai appris ses courbes, ses lignes, ses cordes graves qui m'effrayaient un peu, et qui désormais partagent avec moi leurs longues vibrations, là, glissant le long de mes côtes et roulant sur le sternum, je vibre avec lui, je deviens violoncelle. Je deviens Lui. Je prolonge le son, la sensation, l'émotion. L'archet j'y pense à peine, il est indépendant, il vit sa vie, il coule, rampe, descend, se fond dans ma main, se fait oublier, prolongement de mon bras et de ma voix, chante à ma place, fini fatigué, s'étire un peu, s'arrête. Et reprend. S'obstine. Oblige mes doigts, ma main, à gauche, à avancer. A franchir tous les espaces, tous les défis, tous les caps , plongeant parfois (souvent !) à l'aveuglette, se noyant dans le vide en priant pour se rattraper au Sol de justesse, s'écorchant sur le La au passage, jetant sa hargne et son dépit sur une extension infaisable. Une à l'avant, telle une proue de bateau ivre, puis à l'arrière comme un animal pris de peur, recule, me renvoie une note fausse, un cri strident, un grincement de dent.
Et puis le repos. Je m'adosse contre la chaise, pensive, ne peux m'empêcher de rester en contact avec lui, de le garder encore, de froncer un sourcil sur une clé d'Ut récalcitrante, sur une floppée de croches en pagaille, une ronde trop maigre, un soupir trop gros.
Et parfois, pendant des jours, des nuits, des mois, rien ne bouge. Rien n'avance, rien ne se produit. Juste le doute, énorme, qui fait place à tout le reste. Et si Bach me détestait ? Et si Mozart me haissait ? Et si Feuillard, Père Fouettard plus que tous les autres, aimait la torture ? Et si cet instrument et son halo magique me rejetait, lui, s'il décidait de m'offrir l'humiliation ultime ? Et si le démon c'état lui ? Et si.....et si....et si....?? Et un jour, là où le moral n'est plus, là où les doigts rouillent, là où il pleut dans mon coeur et sur la ville, brusquement, le déclic. La compréhension. Un trou dans le mur. Une lumière à travers les ronces.
Il ne m'a pas abandonnée.
Finalement, je n'ai pas les doigts carbonisés. La corne se fait. Ou revient, plutôt. L'index vaguement douloureux encore, mais ça ira. C'est le prix du travail d'apprentissage, des doigtés hésitants, des fausses routes, des labyrinthes qu'il me faut acquérir et connaître pour pouvoir, plus tard, tenter le diable.
Je l'apprends, surtout, lui. Dans mes silences et ses cordes graves, la limpidité des notes et les chutes loin de ses crins tendus, je trébuche, tombe, recommence sans cesse, ne me lasse jamais, ne m'impatiente jamais. Pas avec lui, je ne pourrai pas. Je l'ai trop attendu. Trop rêvé. Et il continue de me porter. De me sauver.
Le plus difficile pour le moment, mes écarts de doigts. Troisième et quatrième, l'auriculaire crie grâce. Je ne sais pas comment je vais pouvoir un jour vibrer avec une phalange aussi aplatie. Mr Cello aura sûrement une idée de génie d'ici là.....les paris sont ouverts.
Et l'archet. Qui n'en fait qu'à sa tête ou presque. Me mène la vie dure en me ramenant sans cesse sur la position du violon, renâcle, part en vadrouille sans me demander mon avis.
Je ne suis que concentration, attention, crispation parfois, instinct pour l'oreille.
Et puis quelquefois j'arrête juste de jouer pour l'enlacer. Pose ma joue sur son flanc tiède. Ecoute son âme.
Infiniment plus belle que la mienne.
Avançons.
Dehors, il pleut des cordes. Dedans aussi, d'ailleurs..... : La, Ré, Sol, Do. J'attaque par les cordes graves, celles qui ressemblent au tonnerre et dont le timbre me rassure.
Je tire, je pousse, retrouve une ancienne sensation de violon, regarde l'archet glisser doucement, avec sérénité. Le violoncelle est là, j'essaye juste de sentir battre son coeur. Essaye à pas prudents. M'enhardis. Pose les premiers doigts, tire, écarte, geins. Commence par m'agripper au manche, inquiète, ai l'impression de réapprendre à lire, à écrire, à marcher, à déchiffrer. Me sens toute petite.
Puis décide de cesser de regarder ma main gauche, de laisser jouer ce qui me reste d'oreille, de "me" faire confiance, d'y aller à l'instinct . Et ça fonctionne plutôt pas mal. Au bout d'un moment je ne regarde plus du tout, je pose les doigts, et puis....voilà.
Seul problème, j'ai des mains d'enfant jamais grandi, et Valentin s'en fout pas mal. Il me demande des écarts de géant entre chaque ton. Il exige, même.
Je commence et recommence des dizaines de fois, me raccrochant au bord de la note à chaque fois, de justesse, in-extremis, ayant parfois l'impression de sauter dans le vide sans savoir si le rebord salvateur sera là pour moi. Un petit côté "saut en parachute" , aujourd'hui.....
Et mon dos qui crie grâce, un peu. Mes doigts gauches plus encore. Y'en a un sympa, là, un bel index rouge-violacé-marbré qui menace de me faire une ampoule lumineuse à souhaits. Et je ne parle pas du majeur, et encore moins du petiot, qui a carrément un air scandalisé.
Mais je n'ai pas vu le Temps passer. J'ai vu le soleil tourner, les ombres s'allonger, mon travail avancer, infimement, mais avancer quand même.
Je regrette que Mr Cello n'ai pas vu ça. Il m'aurait donné 4 pages de travail en plus.
Une petite fierté bien planquée chez moi, ce soir.
C'est remboursé par la Sécu, le violoncelle.....??
1. lapinbleu2 le 05-02-2010 à 20:31:37 (site)
hello !!
ah, ça je sais pas pour le rembousement.. peut ètre par la mutuelle.. mdrrrrrr..
bonne soirée..
"Choisis-lui un nom de baptême", qu'il me dit......!!
Aaah, bah moi j'veux bien, hein. On est en Février, alors je songe à Valentin, parce qu'il est beau, mon violoncelle, avec son air paisible et sa couleur sombre. On en mangerait presque. Mon violon s'appelle bien Roméo, alors il va bien falloir que je le mette sur un pied (pardon, une pique !!) d'égalité.....et puis non, tiens, je pense à autre chose, nettement plus ....terre à terre. Une forme d'hommage. Enfin ici je l'appelerai Valentin, si vous voulez bien.
Bref, quoiqu'il en soit, et aussi loin que je me souvienne, le violoncelle a toujours fait partie de ma vie. Sa voix m'a toujours foutu le coeur à l'envers, je n'y peux rien. C'est au-delà de l'expression. Au-delà du coeur. D'ailleurs j'en écoute assez peu, parce qu'en général je ne peux rien faire d'autre quand ça se produit. Je reste suspendue. Aux cordes, à ce son plein et profond, à l'âme qui parle juste derrière. Aux mains, aussi. Capables du pire dans une vie et capable de toucher au Ciel quand c'est possible. Il suffit de pas grand-chose.
Le violoncelle seul en direct-live, c'est encore pire. Et quand c'est Mr Cello qui s'y colle, j'ai de la buée plein les yeux, je suis obligée de faire comme s'il n'était pas là. De m'absenter auditivement.
Et pourtant m'y voilà. J'y suis venue, lentement, à pas de loups, à pas comptés, en reculant cent fois, en me maudissant mille fois, en refusant d'abandonner l'idée cependant.
Et puis le hasard, les aléas de la vie, on fait que finalement le chemin de cet instrument et le mien devaient se rencontrer. Chemin infiniment caillouteux je n'en doute pas, fait de sueur, de déprime, de baisse de forme, de grandes joies et de petites victoires, de bonheur doux dans tous les cas. De paix, j'espère. Trouver la paix quand on a trouvé le bon. Finir en couple uni, malgré les fausses notes et les disputes.
Bref, premier contact étrange et doux à la fois, avec Dame Rigueur déjà qui pointe son nez, Soeur Justesse qui me tire l'oreille dès le départ, mais ça reviendra. Je vais juste m'acharner. Prendre le temps. Observer, apprivoiser. Apprendre son corps contre le mien. L'aimer, quoi. Lui quémander un peu de tendresse en retour, tâcher de ne pas trop le décevoir. Valentin se mérite, et je ne suis pas certaine d'en être digne. Ce sera peut-être le travail du reste de mes jours, ma quête et mon idéal. Mon spleen aussi.
Remarquez, il parait que le violoncelle me va bien. S'il le dit.....
Première séance officielle de travail.....demain. Là, j'ai des courbatures morales. un peu trop d'émotion, sûrement.
1. La-tite-gothique le 04-02-2010 à 20:12:20
le violoncelle je trouve ca super en electro gothic ^^ ya une japonaise qui en fait de ce style et j'aime bien!^^ a+ Bonne continuation
2. lapinbleu2 le 04-02-2010 à 20:41:39 (site)
hello !!
trés bel instrument le violoncelle..
bonne soirée.. jean claude..
Commentaires